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Ganaoui Nawel
31 mai 2009

littérature 1 PRÉSENTATION littérature, ensemble

littérature

1

PRÉSENTATION

littérature, ensemble des œuvres écrites ou orales composées dans un souci esthétique.

Michel Foucault a démontré dans son essai les Mots et les Choses (1966) que le sens moderne du mot littérature n'est apparu qu'au XIXe siècle. De son étymologie latine « lettre » — qui lui valut d'être employé dans l'Antiquité latine au sens le plus concret de représentation graphique —, le terme en vint à signaler l'érudition, la culture des gens lettrés « d'un bel esprit et d'une agréable littérature » (

La Bruyère

).

Au début du XIXe siècle, il fut considéré sous un jour nouveau par Mme de Staël dans son ouvrage De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (1800).

Dès lors que l'on pouvait caractériser des modèles de littérature (du Nord, méridionale, etc.), on se devait d'en distinguer les ensembles, sur le plan culturel ou temporel. La littérature ne caractérisait plus seulement une somme de textes, fussent-ils savants, mais la production de leurs auteurs et par là même l'activité créatrice proprement dite. Chateaubriand dans les Mémoires d'outre-tombe donna à lire, non sans ambiguïté, cette mutation sémantique : « La littérature qui exprime l'ère nouvelle n'a régné que quarante ou cinquante ans après le temps dont elle était l'idiome. Pendant ce demi-siècle, elle n'était employée que par l'opposition. C'est Mme de Staël, c'est Benjamin Constant […], c'est moi enfin qui les premiers avons parlé cette langue. »

Cette nouvelle définition de la littérature en une activité autonome, à l'exclusion de toutes les autres formes de discours, ne cessa de s'affirmer au XIXe et XXe siècle, et trouva sa consécration avec l'émergence des sciences du langage.

2

DE L'ORAL À L'ÉCRIT


Pour mieux comprendre l'évolution des définitions de la littérature, il convient de se référer d'abord à sa genèse. Les premières civilisations avaient pallié l'absence d'écriture par une littérature orale, dont les interprètes étaient les garants de la transmission des règles, tout à la fois professeurs et conservateurs de la mémoire collective ; véritables spécialistes du bien-dire, ils avaient à charge de perpétuer les traditions, celle du récit mythique unique et intemporel, qui rend compte de la création du monde, et celle de l'épopée, qui rapporte l'histoire des héros et des dieux, dont les faits et gestes servaient de modèles de conduite pour la collectivité.

Tant qu'elle ne fut pas écrite, la littérature présentait les mêmes caractéristiques que les autres arts, tels la danse et la musique, elle obéissait à des règles rythmiques de diction. Officient encore de nos jours des conteurs en Afrique noire, des poètes traditionnels en Polynésie, des chanteurs d'épopée au Tibet et au Kurdistan. Les corporations spécialisées qui eurent à charge de transmettre le récit fondateur (prêtres assyriens, aèdes grecs, bardes gaéliques ou finnois, scaldes islandais, griots africains) furent également dans certaines de ces aires culturelles les premiers scribes.

Les plus anciennes langues écrites reprirent les thèmes fondateurs de la littérature orale. Ainsi la plus ancienne épopée de l'humanité, l'Épopée de Gilgamesh, écrite en caractères cunéiformes, s'inspire-t-elle de récits sumériens composés vers la fin du IIIe millénaire av J.-C. ; elle narre l'histoire tragique du roi Gilgamesh et, ce faisant, relate celle de la condition humaine. Ce récit légendaire, au même titre que l'Iliade et l'Odyssée, d'Homère, demeure une grande énigme littéraire. Quels furent les auteurs de ces épopées ? À quelle époque furent-elles écrites ? Avons-nous affaire à un auteur unique, ou bien s'agitil d'une œuvre collective ?

.

3

CONCEPTIONS MODERNES DE LA LITTÉRATURE

Cette approche évolutionniste fut une constante de l'histoire littéraire jusqu'au XIXe siècle. Si des littératures sécularisées ont pu se constituer, au terme d'un passage de l'oral et du sacré à l'écrit et au profane, elles n'en entretinrent pas moins des rapports avec les thèmes fondateurs. Au XIXe siècle, deux théories s'échafaudèrent. Des essais de littérature comparée permirent d'analyser les influences exercées par les littératures entre elles ; par opposition, le concept de littérature générale fit prévaloir l'idée d'une généralité littéraire, indépendante des contextes historiques, géographiques et culturels. Les recherches des formalistes contemporains s'appliquent, au-delà de simples constats d'identités culturelles, à étudier les conditions de développement des thèmes privilégiés et des genres spécifiques.

La laïcisation de la littérature occidentale détermina une évolution des genres (de l'épopée originelle au roman, de l'éloquence romaine d'un Cicéron au lyrisme) et un partage de l'écriture entre la prose et la poésie. Ainsi, les trois grands genres initiaux de la littérature française furent de nature poétique : l'épopée des chansons de geste, le roman bourgeois (le Roman de Renart) et courtois (Chrétien de Troyes), et la poésie lyrique des troubadours et des trouvères. Illustrant parfaitement la thèse d'Aristote, les premières œuvres en prose furent historiques (Villehardouin). Au XVIIIe siècle encore, la poésie occupait une place privilégiée et englobait les genres épiques et dramatiques. Aux XIXe et XXe siècles, la poésie, cantonnée à la seule expression lyrique, devint un genre littéraire spécifique, au même titre que le roman et le théâtre. Qu'elle soit en prose ou en vers, la littérature, dans la continuité de ses origines magiques et religieuses, devint le support d'une perpétuelle recherche sur les pouvoirs du langage. L'histoire de la littérature, en se fondant sur la pérennité des œuvres écrites, recense les modèles de représentation, les sujets, les thèmes, les genres, l'imaginaire et le style qui sont à l'origine d'une civilisation.

Alors que la littérature moderne pourrait se comprendre à travers les rapports qu'entretiennent les écrivains avec la société et la tradition, la popularisation de la culture par les mass media (presse, radio, télévision) s'accomplit surtout sous le signe du divertissement. Mais que l'on s'accorde à y voir un simple divertissement, un artifice trompeur ou une nécessaire réponse aux préoccupations humaines, la littérature n'en met pas moins en jeu toutes les virtualités du langage pour exprimer l'infini variété de l'expérience humaine.

poésie

1

PRÉSENTATION

poésie, art du langage, qui se caractérise par la mise en jeu de toutes les ressources de la langue (lexicales, syntaxiques, mais aussi sonores et rythmiques) afin de créer pour le lecteur ou l'auditeur un plaisir à la fois intellectuel et sensible.

2

QU'EST-CE QUE

LA POÉSIE

?

Le terme de « poésie » est l'objet de bien des contresens et de bien des malentendus : « Certains, dit Valéry, se font de la poésie une idée si vague qu'ils prennent ce vague pour l'idée même de la poésie. » Genre méconnu, peu populaire et peu lu, réputé difficile d'accès, la poésie fait en outre l'objet d'un culte étrange qui consiste à respecter son « mystère », à n'en avoir qu'une appréhension sensible, voire sentimentale, et surtout à s'abstenir de tout discours de critique ou d'analyse littéraire.

Nous tenterons malgré tout de donner ici une définition de la poésie, en rejetant d'emblée quelques idées reçues sur le genre.

2.1

Une thématique ?

Dans le langage courant, il n'est pas rare d'associer la poésie à une certaine thématique et d'employer le mot « poésie », et plus encore l'adjectif « poétique », pour indiquer la qualité particulière d'un objet du réel : « un paysage plein de poésie », dit-on parfois, ou encore « nous avons assisté à un spectacle très poétique ». Dans ce sens, le terme désigne la capacité d'une chose, quelle qu'elle soit, à procurer un plaisir d'un genre particulier, souvent doux, romantique, parfois un peu mélancolique, voire mièvre. En réalité, en l'employant de cette façon, on reprend quelques-uns des lieux communs du genre pour en faire, à tort, l'essence même de la poésie. Ainsi un coucher de soleil est-il qualifié de « poétique » ou de « romantique » par un observateur parce que le motif du coucher de soleil est fréquent dans la poésie romantique. Baudelaire rétorquerait à cela que la charogne — d'après le titre de l'un des poèmes des Fleurs du mal — peut être un thème poétique au même titre que le coucher de soleil. Contrairement à l'opinion courante, il n'y a pas, en effet, de thème spécifique à la poésie : elle véhicule la violence et la colère comme la douceur et la mélancolie, et la thématique des poèmes existants recouvre sans doute toute la diversité des expériences et des sentiments humains. Rien de doux, par exemple, dans La nuit remue, d'Henri Michaux, où s'accumulent invectives et menaces à l'égard du lecteur. On ne peut donc définir la poésie en fonction de sa thématique.

2.2

Un genre versifié ?

Si l'on observe le corpus des œuvres produites depuis les origines du genre, une autre définition possible du terme « poésie » se dégage aisément : la poésie est un genre qui s'écrit en vers, le plus souvent organisés selon des schémas préalablement fixés, que l'on appelle les formes fixes (sonnet, ode, ballade, etc.). La plupart des dictionnaires reprennent d'ailleurs encore cette définition associant la poésie et le vers. Il est vrai qu'historiquement la poésie fut longtemps écrite en vers et que, de ce fait, une majorité des textes relevant du genre sont écrits de cette façon. Cependant, le vers n'est pas caractéristique de la poésie : non seulement parce qu'il existe d'autres genres en vers (le théâtre et les romans médiévaux en vers, par exemple), mais aussi parce que la fin du XIXe siècle et le XXe siècle donnent de nombreux exemples de poésie en prose (Aloysius Bertrand) ou en vers libres (Paul Éluard) ou encore en versets (Paul Claudel).

En outre, le statut même de la poésie comme genre littéraire est remis en question, quand on observe que certains textes relevant d'autres genres littéraires sont parfois dits « poétiques ». Cela arrive dans le cas de récits en prose qui présentent indéniablement des similitudes formelles avec la poésie : certaines pages de Chateaubriand ou de Gracq, par exemple, sont qualifiées de « prose poétique » parce que le travail du texte, par sa nature et sa densité, y est similaire à celui de la poésie. Si ces pages sont lues isolément de leur contexte romanesque, elles restent susceptibles de procurer au lecteur un certain plaisir esthétique, proche de celui que procurent les textes appartenant au genre poétique.

La poésie, plus que tout autre genre, remet donc en question le classement des textes littéraires en grands « genres » : si elle ne peut être définie par des critères thématiques, elle ne saurait l'être non plus par des critères formels.

2.3

Un art du langage ?

La poésie est bien davantage une certaine manière de travailler le texte, un art du langage. L'étymologie permet d'ailleurs d'approcher le sens du terme « poésie » : il vient du grec poiein, qui signifie « créer » ou « fabriquer » ; on peut donc tenter de définir la poésie comme une pratique qui utilise le langage (tous les moyens du langage) pour fabriquer un poème comme on fabrique un objet.

L'activité poétique trouve son origine dans la volonté de briser l'arbitraire des signes langagiers, c'est-à-dire d'aller à l'encontre des lois de la prose (il s'agit ici de la prose non littéraire). Celle-ci se définit comme le langage ordinaire, « standard », soumis à l'arbitraire de la relation entre signe et sens (ou entre signifiant et signifié). Vouée à une pure mission de communication d'informations, la prose se doit d'être un langage collectif, immédiatement compréhensible par le plus grand nombre ; elle ne permet donc pas à l'individu de manifester ses particularités. « La création poétique, écrit Octavio Paz, est d'abord violence faite au langage. »

Or, puisque l'Homme vit toute expérience à travers le langage, puisqu'il est Homme par le langage, la poésie est un moyen pour lui de mieux comprendre, en l'exprimant, son rapport au monde mais aussi de rendre compte au plus juste de son expérience (sensible, intellectuelle, etc.) dans ce qu'elle a d'irréductiblement particulier. Grâce à ce langage intime, qui lui est tout à fait propre, le poète parvient paradoxalement à exprimer la vérité de l'humaine condition, et c'est en cela qu'il touche la sensibilité de ses lecteurs. Ainsi, même si, comme le dit Baudelaire, « la poésie n'a pas d'autre but qu'elle-même », elle n'est pas une activité futile, mais bel et bien une expérience fondamentale de liberté.

Signalons, en dernier lieu, qu'on appelle parfois un texte poétique une « poésie » : c'est un emploi impropre, le texte poétique étant un « poème ».

Pour des raisons de commodité et de logique, nous étudierons d'abord ici l'histoire de la poésie comme genre, avant de porter notre étude sur les procédés spécifiques à la poésie en tant qu'art du langage.

3

HISTOIRE DU GENRE POÉTIQUE

3.1

Origines antiques

La poésie est un genre ancien, probablement aussi ancien que les civilisations humaines. Aussi loin que l'on puisse remonter dans le temps, il semble en effet que toutes les cultures humaines, parce qu'elles n'avaient pas encore connaissance de l'écriture ou par choix délibéré, ont eu recours à une tradition orale pour fixer leur histoire et relater le mythe de leurs origines (voir mythologie). Le langage rythmé, scandé, associé sans doute à la musique, était utilisé pour véhiculer les faits essentiels, fondateurs de l'histoire des peuples. Dans l'Antiquité grecque, la figure du poète était incarnée par Orphée, personnage légendaire qui séduisait les dieux, les hommes et les bêtes par la beauté de son chant accompagné de la lyre. La poésie apparaissait alors comme un don divin : le poète était inspiré par les Muses, filles de Mnémosyne (

la Mémoire

), et par Zeus, qui lui permettaient de manier le langage et de conférer aux mots une beauté et un pouvoir hors du commun. Homère, d'ailleurs, invoquait toujours les dieux au début de ses œuvres, allant jusqu'à s'effacer pour leur céder la parole. Pour Platon, qui développa ses idées sur la création littéraire dans l'Ion, l'inspiration se confondait avec l'« enthousiasme » poétique, sorte de présence divine possédant le poète, et les beaux poèmes n'étaient pas le produit de l'art des hommes, mais bel et bien l'œuvre des dieux.

Pour les Grecs, tout texte où apparaissait une recherche d'ordre esthétique était considéré comme de la poésie ; c'est pourquoi, dans sa Poétique, Aristote désignait par « poésie » tout écrit relevant de l'esthétique et de l'imaginaire. Il établissait cependant une distinction entre trois genres à l'intérieur de la grande catégorie dite « poésie » : l'épique (épopée, et plus tard, roman), le lyrique (« poésie » au sens moderne que nous donnons à ce mot) et le dramatique, ce que nous appelons aujourd'hui le théâtre (voir drame et art dramatique).

À l'origine, la poésie était étroitement liée à l'oralité, notamment au chant et à la musique : les poètes grecs, les « aèdes », chantaient leurs poèmes, comme le feront plus tard, au Moyen Âge, les troubadours et les trouvères. C'est sans doute à cause de cette oralité que la poésie développa des systèmes de renvois et de rappels sonores : le vers, scandé par la rime, la régularité du rythme et les rappels sonores (assonances, allitérations, etc.), étaient là pour aider l'auditeur à retenir le poème (voir versification).

3.2

Du Moyen Âge au XVIe siècle

Du Bellay, Heureux qui comme Ulysse…

« Heureux qui comme Ulysse… », les Regrets XXXI (1558), de Joachim Du Bellay.

© Microsoft Corporation. Tous droits réservés./© Microsoft Corporation. Tous droits réservés.

Du point de vue thématique, la poésie continua longtemps de raconter les mythes fondateurs, et, sous la forme épique, elle célébra les hauts faits des héros et des rois — réels ou légendaires. Elle chanta aussi les valeurs chevaleresques et courtoises de la société médiévale. La poésie de circonstance fit son apparition dans l'univers seigneurial : les poètes, attachés à tel ou tel seigneur, plus tard à telle ou telle cour de France ou d'Europe, chantaient la gloire et les vertus de leur protecteur, dont dépendait leur survie matérielle. Cette poésie, liée au pouvoir aristocratique d'abord et au régime monarchique ensuite, prospéra jusqu'à la fin du XVIIe siècle. Elle devait décliner au cours du XVIIIe siècle avec l'émergence progressive de la bourgeoisie, et disparaître totalement dans la société bourgeoise et industrielle du XIXe siècle. On doit à Guillaume de Machaut la codification des premières formes fixes, au XIVe siècle ; avec les rhétoriqueurs du XVe siècle, la poésie se réduisit parfois à des jeux de virtuosité formelle.

Jusqu'au XVIe siècle, la théorie de l'inspiration divine héritée des Grecs se perpétua : les poètes de

la Pléiade

, Ronsard en premier lieu, se présentaient comme des sortes d'élus, gommant la notion de travail poétique au profit de la « fureur sacrée » de l'inspiration, semblable à l'« enthousiasme » platonicien. Le XVIe siècle fut marqué également par des changements formels et lexicaux importants :

la Pléiade

, dont Du Bellay se fit le porte-parole dans son pamphlet Défense et Illustration de la langue française, recommanda l'enrichissement du français par emprunt de termes étrangers, et introduisit des formes littéraires antiques ou italiennes, jusque-là ignorées ou délaissées par les poètes français. Parmi ces formes fixes, le sonnet allait être voué en France à un destin particulièrement brillant.

3.3

Période classique

Racine, Phèdre

Phèdre, Acte I, scène IV (1677), de Jean Racine, extrait.

© Microsoft Corporation. Tous droits réservés./© Microsoft Corporation. Tous droits réservés.

C'est au XVIIe siècle que la langue poétique fut très précisément codifiée et que le mot « poésie » ne fut plus utilisé que pour désigner un genre littéraire en vers. Si les formes poétiques courtes — l'épigramme, le madrigal et le sonnet — se pratiquaient encore, il est certain que la « poésie dramatique », c'est-à-dire le théâtre (les tragédies de Racine, par exemple, écrites en alexandrins), dominait la production poétique.

Malherbe, qui fut le grand théoricien de l'esthétique classique, préconisait en poésie l'utilisation d'une langue tout à fait différente de celle de tous les jours : il s'agissait de privilégier l'emploi d'un lexique « noble » (les mots jugés indignes ou triviaux étant rejetés) et de recourir à une syntaxe complexe, où primaient les inversions et les périphrases (voir rhétorique, figures de).

Sans renoncer totalement aux théories de l'inspiration, l'âge classique eut la particularité de remettre à l'honneur l'idée de « travail » poétique, l'idée d'une élaboration laborieuse et progressive du texte, en bref d'un véritable artisanat poétique que les siècles précédents avaient dédaigné.

3.4

XVIIIe siècle

André Chénier

Le XVIIIe siècle étant celui de la pensée rationnelle et de la réflexion philosophique, il privilégia la prose, et son apport en matière de poésie fut assez faible ; il se contenta de prolonger la tradition du siècle précédent, en considérant la poésie comme un simple « ornement de l'esprit » : à l'exception très notable de Chénier, qui annonce la sensibilité du siècle suivant, les poètes conservèrent en effet, sans les enrichir ni les renouveler, les grandes lignes de l'esthétique classique.

3.5

Période romantique

C'est dans la première moitié du XIXe siècle que la poésie redevint un genre de premier plan, notamment grâce aux romantiques, qui affirmèrent une esthétique nouvelle en prenant le contrepied de la conception classique de la poésie, jugée par eux artificielle, froide et figée.

On considère généralement que la naissance du mouvement romantique français correspond à la publication des Méditations, de Lamartine, en 1820. Le moyen d'expression privilégié de cette génération était donc, d'emblée, la poésie, mais la poésie conçue non comme un jeu formel et une virtuosité de la langue mais comme l'exaltation du moi. À la suite de Lamartine, pour lequel « la poésie, c'est le chant intérieur », Alfred de Musset défendit l'idée de lyrisme personnel et la conception du poète comme un être tourmenté, doté d'une sensibilité exceptionnelle, au point qu'il établissait un lien de cause à effet entre le désespoir ressenti et la beauté du poème : c'est cette idée qu'exprime sa célèbre formule « les plus désespérés sont les chants les plus beaux ». Victor Hugo, en revanche, voyait surtout dans le poète un « mage », un « prophète », qui se devait d'éclairer les autres hommes ; son œuvre véhicule pourtant, elle aussi, l'image d'un poète tourmenté, rédigeant ses textes avec son sang. Cette thématique nouvelle explique la conception romantique de l'inspiration : c'est précisément dans l'expression du moi, dans l'épanchement de la souffrance et dans l'effusion lyrique que les romantiques puisaient la matière de leurs poèmes. Pour cette génération, l'inspiration prévalait donc de nouveau, au détriment de l'idée de travail poétique : la figure allégorique de

la Muse

inspiratrice émaillait encore les poèmes de ce début de siècle.

Lamartine, le Lac

Sur le plan formel enfin, le romantisme — et son chef de file Hugo en tout premier lieu — révolutionna le langage poétique avec une certaine provocation. « Je mis un bonnet rouge au vieux dictionnaire », écrivait Hugo dans sa Réponse à un acte d'accusation, annonçant par là qu'il voulait faire accéder à la poésie les mots les plus banals, voire les plus triviaux, de la langue française. Il s'attacha également à disloquer l'alexandrin binaire de l'âge classique (une césure et deux hémistiches). Les poètes romantiques dans leur ensemble revendiquèrent l'autonomie du langage poétique, lui permettant de passer de l'imitation du réel (contrainte thématique) et de l'assujettissement aux règles de la métrique (contrainte formelle) à une expressivité et à une liberté formelle accrues.

Rappelons que la révolution romantique était liée à des conditions économiques et sociales nouvelles : la poésie, libérée de l'asservissement aux grands de ce monde, redevenait une pratique libre et gratuite, c'est pourquoi elle put se recentrer sur l'individu.

3.6

Modernité poétique

Banville, Ballade des pendus

Dans les décennies suivantes, les poètes parnassiens s'insurgèrent contre les excès du lyrisme romantique et le relâchement formel de cette poésie : des auteurs comme Gautier, Banville ou Leconte de Lisle écrivaient avec le souci d'atteindre une perfection formelle sans faille.

La conception moderne de la poésie fut inaugurée à la moitié du siècle par Baudelaire, avec la publication des Fleurs du mal (1857), texte fondateur d'une nouvelle esthétique. Tout en utilisant, comme le recommandait le Parnasse, des formes fixes traditionnelles tel le sonnet, Baudelaire bouleversa les anciennes conceptions du genre. Pour lui, le langage poétique (en particulier dans l'élaboration de l'image poétique) pouvait opérer une transmutation du monde réel ; passé au philtre des mots, le monde, dans ses réalités les plus abjectes, devenait sublime : « Tu m'as donné ta boue et j'en ai fait de l'or. », le vers sur lequel s'achève le recueil des Fleurs du mal, affirme encore le pouvoir de transfiguration de la poésie. Cette poésie n'avait plus d'autre visée que de constituer un langage poétique qui soit « sorcellerie évocatoire », c'est-à-dire le révélateur des « correspondances » mystérieuses existant dans le monde.

 

3.7

Diversité du XXe siècle

3.7.1

Révolution surréaliste

Le mouvement surréaliste, fondé par André Breton, fit de la force de suggestion de l'image le critère poétique absolu. Dans cette conception, le choc esthétique et émotionnel provoqué chez le lecteur par l'association inhabituelle de deux réalités est apte à déterminer la puissance évocatrice de l'image. Dans le premier Manifeste du surréalisme, André Breton écrivait : « L'image est une création pure de l'esprit. / Elle ne peut naître d'une comparaison mais du rapprochement de deux réalités éloignées. / Plus les rapports des deux réalités rapprochées seront lointains et justes, plus l'image sera forte — plus elle aura de puissance émotive et de réalité poétique […] » Aragon exprima le même enthousiasme et la même foi dans le pouvoir transfigurateur de l'image en définissant le surréalisme comme « l'emploi déréglé et passionnel du stupéfiant image » (le Paysan de Paris).

3.7.2

Image et Poésie

Exaltée par la théorie surréaliste de l'inspiration — liée à l'inconscient et au rêve —, l'« image » est au cœur de toute la poésie moderne, à tel point que dans l'esthétique du XXe siècle, un texte se définit comme poétique par sa forte teneur en images, à tel point aussi que la force poétique est étroitement associée au pouvoir de concentration de l'image.

La poésie contemporaine s'est nourrie globalement de l'esthétique surréaliste : même des auteurs éloignés de cette mouvance, comme Saint-John Perse, ont eu recours à l'image transfigurante. Quant à Francis Ponge, auteur du Parti pris des choses, il chercha l'adéquation la plus parfaite entre les choses et les mots par un travail d'une extrême minutie.

Ce sont encore les poètes surréalistes qui renouvelèrent l'inspiration poétique en lui donnant comme origine l'inconscient et le rêve (depuis leurs travaux, on a reconnu une certaine analogie entre le « travail du rêve » et l'inspiration poétique : la condensation et la cristallisation, par exemple, sont communes au rêve et à la poésie). (Voir aussi Freud, Sigmund.) Pour eux, l'inspiration prenait la forme d'un « automatisme psychique », sorte de « dictée de l'inconscient ».

Pourtant, sans rejeter les diverses théories de l'inspiration, certains poètes du XXe siècle reconnurent l'intensité du travail nécessaire à l'écriture poétique. C'était déjà le cas de Du Bellay, et celui de Baudelaire, qui, s'il défendait une certaine idée de l'inspiration, affirmait qu'elle était la « sœur du travail ». Paul Valéry, par exemple, suspectait la validité de l'inspiration et valorisait les « gênes exquises », souvent fécondes, que représentaient les règles de la versification. Malgré cela, l'inspiration restait pour lui à l'origine de l'écriture poétique : « Les dieux, gracieusement nous donnent pour rien tel premier vers ; c'est à nous de façonner le second, qui doit consonner avec l'autre, et ne pas être indigne de son aîné surnaturel. » Après des siècles de débat, les poètes contemporains dépassaient ainsi la vieille alternative et réconciliaient inspiration et travail.

Désormais, la poésie revêt les formes les plus diverses : en prose, en vers, en vers libre ou en verset, elle est même parfois disposée de façon figurative sur la page blanche (ce sont les calligrammes d'Apollinaire). Peut-on déterminer ce qui, au sein de cette diversité, constitue l'essence de la poésie ?

4

UN ART DU LANGAGE

La poésie est moins un genre littéraire qu'un art du langage : elle se caractérise par un certain nombre de pratiques textuelles, dont nous tenterons ici de dégager quelques constantes. Au premier rang de ces traits permanents figure la volonté de s'éloigner de la norme que représente la prose : tous les moyens mis en œuvre par les poètes, des plus classiques aux plus modernes, tendent à conquérir une autonomie radicale de leur langue par rapport à la prose.

4.1

Contraintes fécondes

4.1.1

Formes traditionnelles

Depuis ses origines, la poésie s'est incarnée dans ce que l'on appelle des formes fixes, qui consistent en une manière rigide d'organiser les mots d'un texte en vers et en strophes. L'ode, par exemple, est une forme fixe héritée de l'Antiquité, tandis que le sonnet, forme fixe d'origine italienne, fut introduit en France par Clément Marot et par les poètes de

la Pléiade

au XVIe siècle. Parmi les autres formes fixes assez courantes, citons la ballade, le rondeau et le pantoum. Ce dernier est une création de la poésie du XIXe siècle ; il est illustré par le poème « Harmonie du soir », de Baudelaire.

L'usage de ces formes fixes allait de pair avec celui de vers mesurés et rythmés, parmi lesquels l'alexandrin est devenu le plus utilisé de la poésie française.

Les formes fixes et les vers mesurés, souvent imposés par des règles impérieuses, ont été perçus comme des contraintes inutiles par les poètes dès le début du XIXe siècle, et davantage encore après Baudelaire. Des poètes comme Lamartine et Hugo, au XIXe siècle, Apollinaire et Aragon, au XXe siècle, ont préféré de longs enchaînements strophiques, échappant à la contrainte des formes codifiées. Le vers classique ne connut pas un sort meilleur : le XIXe siècle avait vu apparaître le poème en prose, le XXe siècle vit l'abandon du vers mesuré au profit du vers libre et du verset (pratiqué par Claudel).

4.1.2

Utilité des contraintes

Cependant, avant de considérer les formes fixes comme des étaux susceptibles d'empêcher l'inspiration poétique de se déployer, il faut se rappeler qu'à l'origine ces formes avaient une utilité : face à son auditoire, peut-être nombreux et parfois distrait, le poète antique ou médiéval devait scander son texte, le rythmer de façon bien marquée et l'émailler de rappels sonores, afin de captiver l'attention et surtout de permettre à son public de mémoriser son texte et d'en comprendre l'organisation.

Le rejet des formes traditionnelles, si radical fût-il, ne remit pas en cause le principe qui avait présidé à leur élaboration, et il s'accompagna de solutions de substitution pour structurer le poème. Si la rime fut supprimée, si le vers rythmé fut abandonné, si l'organisation en strophes fut délaissée, leur rôle fut confié à d'autres procédés. Voir Versification.

4.2

Procédés de la poésie moderne

La poésie moderne, libérée de la contrainte des formes anciennes, s'est donné d'autres lois, mais des lois souples et souvent provisoires, perçues comme des outils de travail, voire comme des jeux. Mais, aujourd'hui comme hier, le poète a recours aux sonorités et aux rythmes pour structurer son texte. Aujourd'hui comme hier, il utilise le langage de façon décalée par rapport à la norme habituelle de la langue.

4.2.1

Choix du lexique

Il n'est plus question, au XXe siècle, d'imposer ou de s'imposer des contraintes en matière de vocabulaire. La liberté la plus totale règne, et chaque poète choisit sa voie ; certains en changent même à chaque nouveau texte.

4.2.1.1

Néologisme

Le décalage lexical le plus visible entre poésie et prose est le fait du néologisme, qui est pratiqué très librement par les poètes, mais qui rendrait un discours en prose inintelligible.

Ronsard pratiquait déjà le néologisme : dans le vers « Un Christ empistolé, tout noirci de fumée », l'adjectif « empistolé » est une invention. Mais c'est surtout au XXe siècle que les poètes se sont livrés à cet exercice. Henri Michaux, loin de vouloir se contenter de mots ordinaires ou même de mots rares, retombe volontairement en enfance pour retrouver la merveilleuse liberté créative des comptines. Dans son poème le Grand Combat, il invente ainsi tout un lexique guerrier lié à l'usage d'une arme blanche : « emparouille », « endosque », « rague », « roupète », « pratèle », etc. Grâce à une certaine ressemblance avec des mots existant dans la langue française et grâce à l'utilisation conjointe de quelques termes susceptibles de faire comprendre au lecteur le cadre de l'action, ce poème, qui décrit un combat singulier à l'épée, est tout à fait expressif et compréhensible.

4.2.1.2

Autres inventions verbales

La poésie, outre le néologisme à proprement parler, autorise toutes les formes d'invention lexicale. Citons le mot-valise, par exemple, très usité dans les poèmes de Raymond Queneau, ou encore le provincialisme. Rimbaud a recours à ce dernier procédé dans le Bateau ivre : « Si je désire une eau d'Europe, c'est la flache / Noire et froide où vers le crépuscule embaumé / Un enfant accroupi plein de tristesses / Lâche un bateau frêle comme un papillon de mai. », où le terme « flache » est emprunté au parler local ardennais.

Le poète peut aussi réactiver, par divers moyens, notamment contextuels, les sens archaïques ou rares des mots, les significations tombées en désuétude qui ne viendraient pas spontanément à l'esprit du lecteur dans un énoncé courant. Lorsque Rimbaud écrit « voici le temps des assassins » dans « Matinée d'ivresse », le contexte textuel — et même biographique — indique qu'il faut comprendre le mot « assassin » comme une référence au haschishin, terme arabe désignant probablement le fumeur de haschisch : on réactive ainsi le sens étymologique du mot français « assassin ».

4.2.1.3

Les « mots de tous les jours »

Pourtant, en poésie, les mots banals peuvent sembler aussi insolites que les mots rares. Après Hugo, qui préconisait en poésie l'emploi des mots les plus courants, Paul Claudel recommande, dans Cinq Grandes Odes, l'emploi d'un vocabulaire ordinaire : « Les mots que j'emploie, ce sont les mots de tous les jours, et ce ne sont point les mêmes ! / Vous ne trouverez point de rimes dans mes vers ni aucun sortilège. Ce sont vos phrases mêmes. […] / Ces fleurs sont vos fleurs et vous dites que vous ne les reconnaissez pas ! »

Dans ce cas, c'est l'agencement particulier des mots, donc le recours à une syntaxe non conforme aux règles strictes de la grammaire, à une syntaxe disloquée, qui produit un effet de décalage fécond par rapport à la norme.

4.2.2

Dérive contrôlée du sens

4.2.2.1

Liberté syntaxique

Les figures de construction (voir rhétorique, figures de) peuvent servir à rendre aux mots usés leur éclat premier : dans le vers célèbre « Vêtu de probité candide et de lin blanc », extrait de « Booz endormi » de Victor Hugo, le zeugme est la figure de construction qui permet d'associer « probité » et « lin » et de donner au premier terme (abstrait et banal) la blancheur et la pureté du second.

Certains poètes, sans avoir recours à des figures de construction répertoriées, se contentent de déroger aux lois habituelles de la syntaxe. Une pratique courante en poésie consiste à estomper les liens logiques entre les séquences verbales, ce qui a pour effet de rendre le discours moins univoque d'une part (donc ouvert à des interprétations plus nombreuses) et de créer d'autre part des court-circuits lexicaux, féconds en images. Certains juxtaposent simplement des mots pour en réactiver la puissance évocatrice : c'est ce que fait Apollinaire dans le vers « Soleil cou coupé » qui clôt le poème « Zone » : ici, trois termes appartenant au langage courant créent une image très forte parce qu'ils sont associés les uns aux autres, et cela de façon brutale car sans recours à des liens syntaxiques explicites.

4.2.2.2

Figures de mot

Les tropes, notamment la métaphore, la synecdoque et la métonymie, constituent un autre ensemble de procédés très utilisés en poésie (voir rhétorique, figures de). Ces figures jouent le même rôle que les figures de construction, puisqu'elles permettent d'associer étroitement les mots, voire de les confondre, pour intensifier leur charge de signification et générer des images.

4.2.2.3

Connotation

Tous ces procédés ont donc un même objectif, celui de condenser le sens et d'augmenter le pouvoir de suggestion des mots.

La connotation, qui est le sens subjectif d'un mot, dépassant de loin son sens strict (tel qu'il est défini dans le dictionnaire), est une réalité du langage courant (aucun mot n'est employé dans son sens purement objectif) ; mais, en poésie, le phénomène de connotation est volontairement démultiplié et intensifié au point d'en devenir une des caractéristiques fondamentales.

Pour établir ces connotations, le poète place le mot dans un réseau soigneusement choisi (un contexte lexical, syntaxique, mais aussi extra-textuel, biographique, par exemple) : la contamination du mot par les mots voisins intensifie alors le phénomène de connotation. C'est précisément ce que produit Apollinaire dans le vers « Soleil cou coupé » au moyen de la juxtaposition, puisque la couleur rouge du soleil couchant y est liée au sang, à la violence et à la mort par le seul jeu des connotations.

Par nature, les connotations sont impossibles à recenser, car elles peuvent se multiplier presque à l'infini : hormis celles qui sont suscitées volontairement par le poète, il y a toutes celles qui sont le fait du lecteur, et qui sont liées à son histoire individuelle, littéraire et sensible ; dans l'absolu, on peut dire qu'il y a autant de connotations qu'il y a de lecteurs.

Tous ces jeux lexicaux et syntaxiques sont caractéristiques de la poésie. Constitutifs de l'image poétique, ils servent aussi à marquer un décalage par rapport à la norme que représente le langage courant.

4.2.3

Jeux sonores et rythmiques

Pour compenser l'absence de la rime — définie comme le retour du même son à la fin d'un vers —, la poésie moderne a trouvé d'autres façons de créer un phénomène d'« isotopie sonore », c'est-à-dire d'identité sonore entre différents mots. Ce phénomène est fondamental en poésie : non seulement il structure le poème, mais il crée une certaine harmonie auditive (et, dans une moindre mesure, graphique) ; cette harmonie des sons est naturellement primordiale dans un texte destiné à être lu. Les comptines de l'enfance poussent ce jeu sonore jusqu'à l'extrême : une comptine comme « am stram gram pic et pic et colegram » révèle la saturation du texte par une assonance en « a ». Mais les poèmes les plus « intellectuels » y ont également recours. L'harmonie sonore est une chose, l'expressivité en est une autre : la répétition du même son est le plus souvent belle et signifiante à la fois. C'est là un niveau de sens que possède la poésie mais que n'a pas la prose.

4.2.3.1

Cratylisme et poésie phonique

Le cratylisme (nom issu d'un dialogue de Platon, le Cratyle) est la croyance dans un symbolisme naturel et figé des sons. Il établit un rapport constant et absolu entre un son et une signification, et, dans ses manifestations les plus extrêmes, a donné naissance à la poésie phonique. Un poème phonique se présente comme une suite de graphies correspondant à des sons (mais dépourvues de sens lexical) et fait reposer la signification sur les seules sonorités ; cela reste une expérimentation ludique et marginale en poésie. Dans une moindre mesure, le sonnet des Voyelles de Rimbaud établit un lien entre son et signification puisqu'il associe une couleur à chaque voyelle : « A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu, : voyelles, / Je dirai quelque jour vos naissances latentes ».

En vérité, s'il y a effectivement un lien entre son et sens, il n'est pas figé. Ainsi, dans le titre d'un recueil de Paul Éluard, le Dur Désir de durer, la consonne « d » produit une impression de dureté, alors que dans ce vers de Verlaine, « de la douceur, de la douceur, de la douceur », elle produit l'effet inverse : la signification des sons est donc étroitement liée à d'autres facteurs (contexte, sens lexical, etc.) et ne saurait être fixée une fois pour toutes.

4.2.3.2

Créer du sens avec les sons

C'est précisément le travail du poète de concilier et d'harmoniser les sonorités avec la signification qu'il veut donner à son poème.

Dans la langue française par exemple, il se trouve que le mot « nuit » possède des sonorités claires (clarté, légèreté du « i ») alors que le mot « jour » possède des sonorités sourdes et sombres : le poète travaille en général pour aller à l'encontre de cette incohérence, comme le fait Racine dans ce vers : « C'était pendant l'horreur d'une profonde nuit. », où il associe au terme « nuit » des sonorités destinées à l'assombrir.

Dans ce que l'on appelle l'harmonie imitative, l'arbitraire de la couleur sonore est vaincu totalement puisque les sons miment véritablement ce dont les mots parlent : c'est le cas dans « Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes », de Racine, où le sifflement est « mimé » par une allitération en « s », ou dans ce vers de Valéry : « L'insecte net gratte la sécheresse. », où le grattement est imité à la fois par l'assonance et par l'allitération.

4.2.3.3

Lecture tabulaire

L'isotopie sonore peut servir à tisser, il est vrai, un réseau de significations des plus féconds. Alors que la plupart des textes se lisent d'une façon simplement linéaire — les mots sont appréhendés les uns après les autres dans l'ordre du déroulement de la phrase —, la poésie autorise une seconde lecture, une lecture tabulaire (« en tableau », donc verticale). Un poème, en effet, peut être appréhendé de façon linéaire comme le langage courant : les vers sont lus les uns après les autres, dans un ordre classique (du haut vers le bas et de gauche à droite). Pourtant, une seconde lecture vient, inconsciemment, se superposer à cette première lecture : la lecture tabulaire consiste à rapprocher deux mots qui sont éloignés l'un de l'autre dans le poème mais qui se trouvent associés l'un à l'autre par leur ressemblance sonore. Lorsqu'Apollinaire, dans le poème « Nuit rhénane » d'Alcools, utilise le mot « femmes » et le mot « flamme », même si les deux termes se trouvent à la rime dans deux vers différents, un rapprochement sémantique (du sens) s'établit spontanément à cause de la ressemblance sonore : les femmes évoquées par Apollinaire sont associées à la flamme qui danse, aux flammes de l'enfer, etc. : elle sont diabolisées ou tout au moins rendues dangereuses. La poésie moderne développe de la sorte une grande variété de tensions entre structure sémantique et syntaxique d'une part, et structure rythmique et sonore d'autre part.

4.2.3.4

Rythme et disposition graphique

C'est sans doute pour faciliter la lecture tabulaire que, tout en renonçant au vers classique, la poésie moderne n'en est pas revenue à disposer les mots sur la page comme le fait la prose. Le vers, et surtout le retour à la ligne qu'il implique, sectionnant le texte à des endroits signifiants et mettant en valeur le mot final, recèle sans doute de trop importantes ressources expressives. Notons d'ailleurs que certains poètes modernes, tels Valéry, Aragon et Éluard, ont utilisé l'alexandrin pour sa noblesse et l'ampleur de son rythme. De nouvelles dispositions typographiques ont pourtant été essayées, tel le calligramme, développé par Apollinaire au début de ce siècle : les mots et les lettres, par leur disposition sur la page, représentent un dessin (ce qui ajoute un niveau de signification au poème : signifiant par les sons, par la sémantique et la syntaxe, il le devient aussi quant à la plastique).

Tout ce qui a été dit ici est valable pour la prose poétique (ou la poésie en prose) : on y trouve en effet ces mêmes jeux sonores et lexicaux. Il n'est pas rare non plus de trouver des vers dissimulés au sein d'un texte en prose (cas des vers blancs, souvent des alexandrins).

roman

1

PRÉSENTATION

roman, genre littéraire narratif qui se distingue du mythe par son attribution à un auteur, du récit historique par son caractère fictif, de l’épopée par son usage de la prose, du conte et de la nouvelle par sa longueur, du simple « récit » par la plus grande complexité de sa narration.

Sous le nom de roman se regroupent des œuvres très diverses, comme en attestent les innombrables sous-catégories proposées selon les thèmes, les formes, les visées ou les écoles : roman d’analyse, de mœurs, d’amour, de cape et d’épée, ou encore roman rural, social, policier, médical, etc.

2

LES ORIGINES DU ROMAN

2.1

La justification du roman

Les réflexions sur le roman, et cela doit retenir l’attention, s’appuient souvent sur une recherche de son origine. Dans un des premiers textes français sur le roman, intitulé justement Traité de l’origine des romans (1670), P.-D. Huet fait de la fiction le propre de l’Homme et une conséquence de l’inquiétude qui le pousse à connaître : l’Homme apaise sa faim de savoir dans la fiction, la fable, soit par défaut (mythologie des peuples ignorants), soit par paresse (connaître par raison est plus difficile), soit par luxe (comblées d’érudition, les nations « civilisées » retrouvent le goût de la fiction).

Mais la fiction peut heureusement ne pas être vaine si un « sens caché » en fait une « figure de vérité », comme l’expliquait saint Augustin. Fénelon illustre ce projet avec le roman pédagogique les Aventures de Télémaque (1699), écrit pour son élève le duc de Bourgogne ; inspirée par le « roman » antique pour la forme, cette œuvre l’est par l’Odyssée pour le sujet. C’est la réflexion augustinienne que Voltaire reprendra, pour la subvertir, dans l’Ingénu (1767), où il opposera la « fable des imposteurs » (mythologie, textes religieux, origines mythiques par lesquelles un peuple se légitime), la « fable des enfants » (le conte pour le plaisir) et la « fable des philosophes », « emblème de la vérité ». À travers l’ambivalence classique du « plaire » et de l’« instruire » se pose un des problèmes du roman, qui se trouve partagé entre la littérature de l’évasion, où il trouve son attrait, et celle de l’édification (morale, psychologique, politique), où il met son personnage (ainsi que le lecteur) à l’école du monde et où il cherche sa justification.

Au XXe siècle, c’est la psychanalyse qui propose de nous livrer le secret de l’origine de la fiction romanesque (Otto Rank, puis Marthe Robert) : l’origine du roman, selon cette théorie, serait à chercher dans le « roman des origines », cette histoire personnelle que l’enfant, face au complexe d’Œdipe, se construit pour refuser sa filiation au père. Dans cette perspective, les romans de la lutte avec le monde (Balzac) correspondraient à la fiction du bâtard-peut-être-fils-de-roi, et les romans de la fuite ou de la bouderie du monde (Don Quichotte, Robinson Crusoé), à celle de l’enfant trouvé.

Mais le roman en lui-même est un genre en quête de légitimité : il est le bâtard né de l’union des genres « élevés » ou « nobles » (l’épopée, la tragédie, selon l’antique hiérarchie des genres) avec la comédie. À cette dernière, il emprunte en effet ses personnages « bas » : le bourgeois dans la société de l’aristocratie nobiliaire, les prolétaires dans la société bourgeoise, les marginaux dans la société de tout temps, les animaux parmi les hommes (âne latin ou singe chinois), les exclus errants dans l’Espagne de

la Renaissance

ou ceux de l’Amérique pendant

la Grande Dépression.

2.2

Aux origines du roman, le conte

C’est encore en termes d’origine que peut se poser le rapport du roman avec les histoires courtes, en particulier celles de la littérature orale. Beaucoup d’œuvres anciennes qu’on appelle aujourd’hui « roman » sont en effet des agglutinations de « bonnes histoires » courtes.

Le « roman » antique grec (Héliodore, Éthiopiques ; Achille Tatius, Aventures de Leucipée et de Clitophon ; Chariton d’Aphrodise, Aventures de Chaeréas et de Callirhoé ; Xénophon d’Éphèse, Éphésiaques ; Longus, Daphnis et Chloé) et latin (Pétrone, Satiricon ; Apulée, l’Âne d’or) offre déjà quelques schémas (roman d’amour, roman picaresque avant la lettre, roman philosophique) et quelques caractéristiques du roman moderne (parodie, emboîtement des récits). Le récit antique apparaît souvent comme un entrecroisement de plusieurs histoires, qu’il reprenne une légende populaire (loup-garou de Pétrone) ou qu’il soit la parodie des grands textes (Phèdre revue par Apulée). Le critique russe Bakhtine (1895-1975) utilise d’ailleurs ces textes de façon privilégiée pour montrer les jeux de références qui selon lui caractériseraient le genre romanesque.

Les contes arabes des Mille et Une Nuits, révélés par Galland (1646-1715), sont également constitués de contes de dates et d’origines diverses (fonds indo-persan hellénisé, contes de Bagdad, fonds égyptien) ; organisés en un ensemble cohérent grâce à la technique du récit emboîté, ces contes sont unifiés par un récit-cadre (l’histoire de Chariyar et Schéhérazade) : Proust, qui construit sa Recherche du temps perdu comme une couturière monte une robe, en fera un de ses modèles.

L’évolution du roman médiéval va dans le même sens : aux romans en vers du XIIe siècle succèdent les romans-fleuves en prose du XIIIe siècle, où s’entrelacent les histoires (Lancelot, Tristan). Voir courtois, courtoisie.

Quant à la nouvelle, telle que la fixe Boccace dans son Décaméron (imité notamment par Marguerite de Navarre et Cervantès), elle s’écrit d’abord comme un roman à tiroirs (qui met en scène, dans un récit emboîtant, des personnages réunis pour échanger leurs histoires) avant de se constituer en courtes histoires autonomes.

Le roman, par sa longueur, se détache de l’histoire orale ; il est donc lié à l’écrit comme il le sera plus tard à l’imprimerie. Il permet au personnage témoin ou auditeur des différentes histoires de devenir le centre même de la fiction : le roman est ainsi mis sous le signe du devenir et de l’individu.

2.3

Aux origines du roman, le mythe et l’épopée

C’est pourtant du côté du mythe et de l’épopée qu’on cherche le plus souvent les origines du roman. Le roman apparaît alors comme une forme seconde, et donc dégradée, de ces grands genres. Les anthropologues montrent, par exemple, que dans la retranscription en prose d’une épopée « la narration devient une fin en soi » (Dumézil) ; ils semblent déplorer que le foisonnement narratif brouille le sens du mythe, rompe sa structure et le fasse verser dans le romanesque (Lévi-Strauss).

Dès son apparition moderne, le roman est vu comme une forme mineure de l’épopée. Au XIXe siècle, Hegel lui donne une place dans son Esthétique et livre à propos du roman du XVIIIe siècle une définition restée célèbre : « moderne épopée bourgeoise qui exprime le conflit de la poésie du cœur et de la prose des rapports sociaux ». À sa suite, le critique marxiste Lukács définit le roman comme « l’épopée d’un monde sans dieu », monde « dégradé » dans lequel le héros devenu « problématique » mène sa quête : trois types de romans se distinguent alors, celui de l’idéalisme abstrait (Don Quichotte), le roman d’apprentissage (ou Bildungsroman, illustré par Goethe et son Wilhelm Meister) et le roman des « illusions perdues » (romans français du XIXe siècle).

Ce héros « problématique » serait né du passage d’une « pensée du symbole » à une « pensée du signe » (Julia Kristeva analysant le Petit Jehan de Saintré, d’Antoine de La Sale, roman du XVe siècle) : dans cette perspective, le symbole correspond à un monde garanti par Dieu, alors que le signe permet au contraire l’ambiguïté et le jeu du sens. La sagesse du roman serait ainsi une « sagesse de l’incertitude », liée à l’ironie et à l’indécidable, comme le dit Milan Kundera : le roman se confond avec la culture de la vieille Europe depuis

la Renaissance

, depuis les errances et les errements de Don Quichotte ou de Panurge, et il serait non pas une « confession de l’auteur mais une exploration de ce qu’est la vie humaine dans le piège qu’est devenu le monde » (l’Insoutenable Légèreté de l’être).

3

NAISSANCE ET ESSOR DU ROMAN MODERNE

La veine « comique » au sens d’anti-héroïque n’est pas absente des genres narratifs médiévaux (fabliau) ni du roman lui-même (Roman de Renart). Mais le roman médiéval était un roman romanesque, si le romanesque se définit comme « la forme littéraire la plus proche de l’accomplissement du rêve » (Frye). C’est du roman de chevalerie qu’est issu le roman espagnol Amadis de Gaule, célèbre dans toute l’Europe jusqu’à devenir proverbial de 1550 à 1615 environ, et bien plus longtemps encore dans la littérature de colportage. (Voir Espagnole, littérature).

C’est dans la lignée de ce texte que se situent les romans romanesques du XVIIe siècle, avec leurs variantes héroïque ou pastorale illustrées par Honoré d’Urfé, Gomberville ou encore Mlle de Scudéry (voir Pastoral, genre). Un auteur français écrivit d’ailleurs une version renouvelée de l’Amadis en 1629. Et c’est contre ce courant que se définissent plusieurs voies, qui souvent se recoupent dans une même œuvre.

La première voie est celle de la « déraison » : le personnage se prend pour un chevalier (Cervantès, Don Quichotte) ou pour un berger (Sorel, le Berger extravagant). C’est d’ailleurs la voie parodique qui dévoile le roman comme fiction et qui pose des questions philosophiques sur le sens de la destinée. Cette voie ouverte sera prolongée au XVIIIe siècle par l’humour de Sterne (Vie et Opinions de Tristram Shandy) ou de Diderot (Jacques le Fataliste et son maître).

La deuxième voie est celle du burlesque : le héros devient un bourgeois ou un homme du peuple (histoires « comiques » ou « bourgeoises » de Furetière ou de Scarron au XVIIe siècle). Ce peut être même un « gueux », un vagabond : c’est la formule du roman picaresque, inventé en Espagne dès le XVIe siècle (Lazarillo de Tormes, 1554 ; Alemán, Quevedo), mais diffusé dans toute l’Europe (Grimmelshausen, les Aventures de Simplicius Simplicissimus, 1669). Les grands romans réalistes et moraux anglais du XVIIIe siècle (Defoe, Richardson, Fielding, Smollett) suivent cette voie et fixent de nouveaux modèles : Diderot loue la sentimentalité des œuvres de ces auteurs mais déplore d’être obligé d’utiliser pour eux le nom de roman.

Les romanciers cherchent aussi à créer l’illusion d’une absence de « différences essentielles entre le roman et le récit naturel des choses que nous avons vues et entendues », absence qui, bien plus tard, irritera tant Valéry. Cette volonté de conférer une « vérité » au roman explique la vogue du roman épistolaire, qui est illustré brillamment par Guilleragues, Montesquieu ou Richardson, et plus tard par Rousseau, Laclos, Restif de

la Bretonne

, et qui annihile la différence entre la création romanesque et la réalité. Ce goût de la vérité explique également le succès de la nouvelle, et particulièrement de la nouvelle historique (illustrée par des auteurs comme Saint-Réal ou Mme de La Fayette), et du récit à la première personne imitant l’autobiographie (ce qu’on appelle les « Vies », les Mémoires fictifs), comme le faisait déjà l’auteur anonyme de

la Vie

de Lazarillo de Tormes mais aussi Prévost, Fielding ou Marivaux.

Toutes ces voies, tracées contre l’esthétique d’Amadis de Gaule, lui empruntent pourtant certains traits, comme la longueur (Tom Jones, histoire d’un enfant trouvé, de Fielding comprend par exemple dix-huit livres), le goût de l’aventure ou celui de l’amour, caractères qui faisaient précisément le charme d’Amadis.

D’autre part, on notera des évolutions surprenantes : le conflit de la vertu et du vice qui alimente les romans dits « sentimentaux » débouche sur les romans du mal (Restif de

la Bretonne

, Laclos, Sade), qui s’ouvrent au diabolique, donnant naissance aux romans gothiques anglais (ou « romans noirs ») avec des auteurs comme Horace Walpole, Ann Radcliffe, Matthew Gregory Lewis ou Mary Shelley. Le genre du roman gothique trouve naturellement son prolongement en Amérique en même temps que s’invente le genre du roman fantastique (Cazotte).

4

LE GRAND ROMAN DU XIXE SIÈCLE

Sir Walter Scott

Ce sont les romans de l’Écossais Walter Scott qui créent le roman historique moderne, un genre qui connaît bientôt la gloire partout, et en Angleterre particulièrement avec des auteurs comme Dickens, Thackeray, Trollope ou Eliot, mais aussi en France avec Hugo et Dumas, ainsi qu’en Italie avec Manzoni (les Fiancés) et en Allemagne avec Freytag, aussi bien qu’en Amérique avec Fenimore Cooper. Le roman historique produira des chefs-d’œuvre jusque tard dans le siècle (Tolstoï).

Scott donne surtout l’idée du roman comme reconstitution totale d’une société : c’est lui qu’invoque Balzac quand il écrit son avant-propos à

la Comédie

humaine (1842), où il explicite son grand projet du réalisme (« La société française allait être l’historien, je ne devais en être que le secrétaire »). Le roman triomphe commercialement au XIXe siècle (le roman-feuilleton est illustré par Dumas, Sue, Ponson du Terrail) en même temps qu’il cherche sa légitimation : la fiction veut rivaliser avec l’Histoire et la philosophie, et prend pour référence les sciences de la nature. Zola et les autres naturalistes prolongeront cette entreprise.

Le roman d’apprentissage et d’amour du XVIIIe siècle, dont les Allemands avaient offert de fascinants modèles à la fin du siècle (succès immense de Werther, de Goethe), tourne alors au roman social (Stendhal, Balzac, Flaubert en France, Dickens et Emily Brontë en Angleterre, Gogol et Tourgueniev en Russie). Le roman du temps propose des figures autobiographiques (Chateaubriand, Constant) et retrouve le sens tragique (Zola, Hardy, Dostoïevski). La littérature des États-Unis invente sa propre mythologie en utilisant la veine réaliste (Twain), donnant naissance à des œuvres au symbolisme puissant (Melville, Hawthorne).

5

LES ROMANS AU XXE SIÈCLE

À partir de la fin du XIXe siècle, le roman, genre autrefois mineur, s’impose. En outre, il s’est mondialisé sous sa forme européenne, et son histoire se fait désormais à travers les apports nationaux les plus divers : roman japonais (Mishima, Kawabata), chinois (Ba Jin, Maon Dun), arabe (Mahfouz), anglo-américain (Dos Passos, Steinbeck, Fitzgerald, Hemingway, Faulkner, Capote, Bellow, Mailer) ou latino-américain (García Márquez, Fuentes, Vargas Llosa), etc. La production populaire s’est également multipliée, en reprenant des formules anciennes ou en créant de nouveaux genres (science-fiction, roman policier, roman d’espionnage).

Dans le même temps, le genre a fait une sorte de retour sur lui-même : les écrivains composent leur « art du roman », que ce soit sous la forme d’essais ou au sein même de leurs romans (James, Joyce, Proust, Virginia Woolf, Gertrude Stein, Nabokov et tous les auteurs français du Nouveau Roman).

Au début du siècle, la technique du « point de vue » élaborée au siècle précédent par des auteurs comme Stendhal, Flaubert ou Maupassant prend une importance particulière (Henry James). C’est ainsi que dans les romans modernes, la conscience du monde prime souvent, au détriment de sa représentation (notamment grâce à la technique du monologue intérieur), et les romans explorent une temporalité qui n’est plus celle du monde social (Virginia Woolf, Foster, Döblin, Dos Passos, Faulkner). Le roman peut en outre utiliser le langage parlé (Céline), des dialectes divers (Gadda) ou encore reprendre tous les grands textes de la culture (Joyce).

Les auteurs hésitent entre la remise en question (voire le refus) du roman et de son culte, entre la recherche de formules radicalement nouvelles (Nouveau Roman) et la reprise parfois ironique de l’héritage historique du genre. Quelle que soit la voie choisie, le roman fournit souvent une méditation sur le destin de l’Occident ou sur la condition humaine (Thomas Mann, Musil, Kafka, Hesse, Céline, Gombrowicz, Malraux, Kundera) : il s’est imposé comme mode de représentation réaliste ou symbolique du réel.

nouvelle (littérature)

1

PRÉSENTATION

nouvelle (littérature), genre de fiction narrative en prose, qui se différencie du roman par sa brièveté. Toutefois, on remarque aisément que cette caractéristique formelle ne suffirait pas à la distinguer d'un conte ou d'un roman court. En d'autres termes, les critères définitoires de la nouvelle, faute de trait générique véritablement distinctif, doivent inclure d'autres traits, notamment ceux concernant la construction dramatique.

2

DÉFINITION ET ORIGINE DU GENRE

Le genre n'a été défini que tardivement, au XIXe siècle, lorsque la vogue de la nouvelle gagna les États-Unis. Avant cette période de théorisation du genre, le terme de « nouvelle » qualifiait tout simplement un type de récit court, le plus souvent en prose mais quelquefois en prose et en vers, dont le sujet, parfois satirique ou grivois, pouvait être tiré de la tradition populaire.

Ce sont les récits du Décaméron (1348-1353) de Boccace qui sont ordinairement considérés comme l'origine de la nouvelle. Le mot « nouvelle », pour désigner une œuvre, et par extension un genre littéraire, fut d'ailleurs emprunté à l'italien novella (1414), qui venait de Boccace et qui caractérisait un « récit concernant un événement présenté comme réel et récent ». L'anglais, au XVIe siècle, forma sur le mot italien novella celui de novel, qui devait ultérieurement prendre le sens plus général de fiction romanesque, cependant que short story se chargeait de la signification de novella. Les premiers récits du type de la novella étaient inspirés de Boccace. Ce furent d'abord les Contes de Cantorbéry (v. 1387-v. 1400) de Chaucer, vingt et un contes écrits pour la plupart en distiques héroïques. Vinrent ensuite, au XVIe siècle, les contes de l'Heptaméron (1558) de Marguerite de Navarre.

3

XVIIE SIÈCLE : LE PETIT ROMAN

Au XVIIe siècle, ce furent les Nouvelles exemplaires (1613) de Cervantès, les Contes et Nouvelles (1665-1674) de La Fontaine, récits en prose et en vers mêlés d'une tonalité satirique et grivoise, inspirés de Boccace et de l'Arioste, puis les Nouvelles tragi-comiques (1655-1657) de Scarron.

Il n'y a que peu de liens, hormis la brièveté des histoires, entre ces récits et la nouvelle telle qu'elle sera définie au XIXe siècle. En revanche, au XVIIe siècle, contrastant avec les longs romans pastoraux du type de l'Astrée d'Honoré d'Urfé, parurent des œuvres plus brèves, comportant moins de digressions, d'histoires enchâssées et d'intrigues entrelacées : on les appelait « petits romans » et le modèle le plus illustre en est

la Princesse

de Clèves. En même temps que les petits romans parurent des récits encore plus brefs, sans rapport avec la veine satirique de Boccace et de La Fontaine : ceux-ci peuvent être appelés des nouvelles ; c'est le cas de

la Princesse

de Montpensier, de Mme de La Fayette.

4

XVIIIE SIÈCLE : LE CONTE ET LA NOUVELLE

Le XVIIIe siècle vit se multiplier les récits courts intitulés contes. Les Romans et Contes de Voltaire illustrent le genre du conte philosophique. La nouvelle se différencie pourtant du conte en ce sens que, si elle peut être fantastique ou faire appel au surnaturel, elle ne comporte pas d'éléments relevant du merveilleux, puisqu'elle relate des événements réputés réels. En outre, la structure des contes comprend des invariants et des éléments codifiés qui sont des conventions définitoires du genre : les conventions génériques du conte, du conte de fées et du conte populaire, s'opposent à l'absence de conventions génériques qui caractérise la nouvelle. Il est vrai qu'un certain nombre de textes qui sont en fait des nouvelles peuvent s'intituler contes : c'est le cas des Contes cruels (1883) de Villiers de l’Isle-Adam, qui sont des récits dans la veine de ceux d'Edgar Poe, c'est le cas encore des Contes du chat perché (1934, 1950 et 1958) de Marcel Aymé, qui mêlent des éléments de merveilleux (les animaux qui parlent) à une évocation drôle de la vie à la ferme ; mais en réalité il s'agit là de variantes modernes et parodiques du genre du conte.

Plus complexe est l'interprétation générique des récits des romantiques allemands. Les contes de Tieck (les Elfes,

la Coupe

d'or, le Runenberg), ceux d'Hoffmann (le Vase d'or, Kreisleriana,

la Princesse Brambilla

)
ou ceux de Friedrich de La Motte-Fouqué (Ondine,

la Mandragore

),
qui ne sont pas des contes traditionnels comme ceux de Grimm ou de Perrault (voir Contes de Grimm et Contes de ma mère l'Oye), contiennent suffisamment d'éléments empruntés au féerique et aux légendes populaires pour former un sous-genre à part à l'intérieur du genre du conte.

5

XIXE ET XXE SIÈCLES, DÉFINITION DU GENRE

C'est au XIXe siècle que la nouvelle est définie en tant que genre. Cette période marque le début de l'apogée de la nouvelle et simultanément le début de la réflexion sur ce type d'œuvre, répandu dans tous les pays d'Europe, et que les romanciers américains, tout particulièrement, contribueront à théoriser. Edgar Poe est un des auteurs à avoir produit une théorie du genre ; selon lui, la nouvelle se caractérise par une unité d'intrigue ; cette dernière doit en outre être tout entière conçue en vue de la chute. Les nouvelles de Poe sont exemplaires à cet égard ; ses Histoires extraordinaires notamment, qui furent très tôt connues en France grâce à la traduction de Baudelaire, illustrent parfaitement sa poétique de la nouvelle.

La construction dramatique de la nouvelle est caractérisée par une unité d'intrigue et par le petit nombre des personnages. Le début d'une nouvelle, si on le compare à celui d'un roman de facture traditionnelle (c'est-à-dire en gros à un roman dont le modèle narratif est le modèle balzacien), comporte des préliminaires très rapides et parfois un début in medias res. Le début in medias res (qui caractérise des œuvres aussi éloignées de la nouvelle que l'Odyssée ou Ulysse de Joyce) suppose une entrée en matière abrupte : il n'est pas obligatoire dans la nouvelle mais il lui convient bien. Les nouvelles les plus représentatives réduisent donc à quelques traits marquants les notations concernant le cadre spatio-temporel ou le cadre social ainsi que la description des personnages. Tout dans la narration est censé tendre vers un effet unique et vers une chute qu'une série d'indices permet de deviner par anticipation (ou bien ne permet pas de deviner, auquel cas la chute est une surprise).

5.1

Le domaine français

Au XIXe siècle, les nouvelles des écrivains réalistes et naturalistes se multiplient, et entretiennent souvent des liens étroits avec le fantastique. Parmi les très nombreuses nouvelles écrites par Maupassant (

la Maison Tellier

, 1881 ; Contes de la bécasse, 1883 ; Contes du jour et de la nuit, 1885 ;

la Main

gauche, 1889 ; l'Inutile Beauté, 1890), certaines, comme le Horla ou

la Chevelure

, sont des nouvelles fantastiques, qui instaurent une atmosphère d'angoisse croissante. Chez Barbey d'Aurevilly (les Diaboliques), le réalisme s'accompagne également d'une inspiration fantastique, mêlée de mysticisme et d'un goût pour l'étrange qui trouve son expression dans le thème de la possession diabolique. Barbey d'Aurevilly aborde d'ailleurs le même thème dans son roman l'Ensorcelée : on constate que, de façon générale, il y a souvent une thématique identique dans la création romanesque et la création nouvelliste d'un même auteur.

Au XIXe siècle toujours, la veine réaliste-fantastique est illustrée par les nouvelles de Balzac (Contes drolatiques, 1832-1837) et surtout celles de Mérimée (Carmen, Colomba, l'Enlèvement de la redoute, Mateo Falcone, Tamango,

la Vénus

d'Ille, le Vase étrusque,

la Partie

de trictrac, Lokis,
1833-1845), qui sont caractérisées par leur densité, leur brièveté et la rapidité de la progression de l'intrigue.

La veine mystico-symboliste est représentée par Villiers de l'Isle-Adam (Contes cruels, 1883 ; Histoires insolites, 1888 ; Nouveaux Contes cruels, 1888) ; ses nouvelles les plus célèbres (le Convive des dernières fêtes,

la Torture

par l'espérance, les Amants de Tolède, Véra, l'Amour sublime,

la Maison

du bonheur)
sont caractérisées par un idéalisme mystique (plus romanesque que philosophique), par la création d'une atmosphère angoissante et par le caractère macabre du dénouement. C'est le tournant du siècle qui a inauguré le genre de la nouvelle humoristique, avec des auteurs comme Alphonse Allais ou Georges Courteline.

5.2

Le domaine anglo-irlandais

Dans le domaine de la littérature anglaise, on doit à Oscar Wilde un recueil de contes et de nouvelles (le Prince heureux, le Fantôme de Canterville, 1888) qui mêlent ironiquement le merveilleux et le quotidien. Il montre par exemple le terrifiant fantôme du manoir de Canterville aux prises avec une famille américaine particulièrement terre à terre, qui, parce qu'elle ne croit pas à l'au-delà, vient à bout de l'atmosphère gothico-médiévale du château.

La romancière néo-zélandaise Katherine Mansfield, qui passa toute sa vie en Europe, notamment en Angleterre, est l'auteur de nouvelles consacrées à l'évocation des moments fugitifs de l'existence, de ceux qui sont représentatifs de tous les autres ou de ceux où tout bascule (Pension allemande, Prélude, Sur la baie,

la Petite Gouvernante

, Révélation, le Soleil et

la Lune

, Le vent souffle,

la Maison

de poupée).
Ces récits ont été recueillis dans Prélude et autres histoires (1916), Félicité (1921) et

la Garden Party

(1922). Le seul recueil de nouvelles que l'on doive à James Joyce s'intitule Gens de Dublin (1914).

5.3

Le domaine américain

Parmi les nouvellistes américains, on citera naturellement Edgar Poe et ses Histoires extraordinaires (1839), parmi lesquelles on trouve des chefs-d'œuvre du genre, comme

la Chute

de la maison Usher, Bérénice, William Wilson ou Ligeia. Citons également Ambrose Bierce, auteur de nouvelles fantastiques, angoissantes et sardoniques (Morts violentes, 1912) et Herman Melville (Bartleby, Benito Cereno, 1856 ; Billy Budd, 1891). Henry James est l'auteur de plus d'une centaine de nouvelles ou de récits courts, parmi lesquels le Loyer du fantôme,

la Pension Beaurepas

, le Siège de Londres, Lady Barberina, Pandora, les Raisons de Georgina, les Papiers d'Aspern, l'Élève, l'Image dans le tapis,

la Bête

dans la jungle, les Deux Visages, Une série de visites,
etc. Ces nouvelles, comme le reste de son œuvre, furent réunies et commentées par l'auteur lui-même dans des préfaces rétrospectives — en fait des postfaces — qui en exposent la structure narrative.

Depuis le début du XXe siècle, le genre de la nouvelle a donné naissance à une impressionnante quantité d'œuvres aux États-Unis, avec les quelque six cents nouvelles d'O. Henry, (Des choux et des rois, 1904 ; les Quatre Millions, 1906 ; Cœurs du Far West, 1907 ; le Gentil Escroc, 1908), celles de Faulkner, de Sherwood Anderson (Winesburg, Ohio, 1919), de Steinbeck (Tortilla Flat, 1935 ; Rue de

la Sardine

, 1945), celles de Salinger (Un jour rêvé pour le poisson-banane, 1950), de Carson McCullers (

la Ballade

du café triste,
1951) et celles de Mary Flannery O'Connor (A Good Man is Hard to Find, 1955 ; Complete Stories, 1971).

5.4

Le domaine russe

Si la nouvelle a été le genre par excellence de la littérature américaine, elle a été illustrée brillamment par les plus grands romanciers russes. Dostoïevski composa l'Éternel Mari (1870), Tchekhov

la Cigale

et

la Chambre

n° 6 (1891-1897), Tolstoï son Enfance (1852), les Cosaques (1863) ou encore

la Sonate

à Kreutzer (1891). Quant à Tourgueniev, on lui doit les Mémoires d'un chasseur (1852), Deux Amis (1854), Un coin tranquille (1854), Iakov Pasynkov (1855), Une correspondance (1856) et Premier Amour (1860).

5.5

Le domaine latino-américain

Les récits des écrivains argentins Borges et Adolfo Bioy Casares ont inauguré le genre de la nouvelle métaphysique et fantastique. Recueillies dans Fictions et dans l'Aleph, les nouvelles de Borges, Tlön Uqbar orbis tertius, les Ruines circulaires, Funès ou

la Mémoire

, Pierre Ménard, auteur du Quichotte, sont des récits érudits, savamment piégés, qui se jouent des conventions narratives mêmes : ils relèvent de la métaphysique-fiction. Dans les nouvelles de Bioy Casares, comme Six Problèmes pour don Isidro Parodi (1942), écrite en collaboration avec Borges, l'intrigue fantastique se double en revanche d'une enquête policière.

contes populaires

1

PRÉSENTATION

Le Petit Chaperon rouge

La version du conte le Petit Chaperon rouge que nous connaissons est celle, considérablement édulcorée, de Charles Perrault.

Getty Images

contes populaires, appellation désignant différents types de récits véhiculés par les traditions orales et écrites du monde entier.

Bien que les contes populaires, qui appartiennent au folklore, soient généralement transmis par le bouche à oreille de génération en génération, et connaissent, de ce fait, de nombreuses altérations et de profondes variantes, il arrive que la tradition orale soit fixée par écrit et entre ainsi dans le domaine de la littérature, comme c'est le cas, par exemple, pour les Contes de ma mère l'Oye de Charles Perrault. On peut classer parmi les contes populaires les mythes, les légendes et les contes de fées. Tous ces genres ont en commun d'être les supports de récits comportant une part de fiction et de merveilleux, ce qui n'empêche pas qu'ils soient parfois présentés comme plausibles. On peut aussi faire le rapprochement avec les fables, les histoires extraordinaires, les anecdotes, voire les « blagues » modernes ou les chantefables du Moyen Âge (histoires populaires alternativement narrées ou chantées).

Le début du XIXe siècle a manifesté un grand intérêt pour les contes populaires, à la suite notamment de la publication par les frères Grimm des Contes d'enfants et du foyer (1812-1815). De fait, leurs œuvres incitèrent des écrivains de tous pays à recueillir et à publier des contes issus de leurs terroirs respectifs, comme le firent Gérard de Nerval pour le Valois, Andrew Lang pour l'Écosse ou Hans Christian Andersen (voir Contes) pour le Danemark. Les frères Grimm avaient déjà constaté des ressemblances flagrantes entre les contes de diverses origines européennes, et les folkloristes s'attachèrent, tout le long du XIXe siècle, à mettre en évidence les points communs entre les traditions orales des différents pays. Ignorant généralement les cultures africaines, américaines et océaniennes, ils se convainquirent de l'origine indo-européenne de nos contes. Bien qu'il ait été démontré depuis que ces théories étaient incomplètes ou erronées, il n'en reste pas moins que leurs recherches contribuèrent à éveiller l'intérêt du public pour le folklore et les contes populaires. Certains auteurs modernes, critiques et spécialistes de littérature influencés par les écrits des psychanalystes, Sigmund Freud et Carl Jung en particulier, utilisent le mot « mythe » dans le sens plus général de symboles et de thèmes récurrents communs à tous les peuples du monde et utilisés comme un langage pour exprimer des idées, des valeurs, des émotions. Ainsi défini, un mythe ne se distingue pas nettement d'une légende ou d'un conte de fées, ni même de genres littéraires comme le roman ou le drame, qui sont les formes modernes par lesquelles l'humanité s'exprime le plus communément. Ainsi Georges Dumézil avoue-t-il ne pas pouvoir distinguer conte et mythe tandis que Claude Lévi-Strauss ne peut définir le conte que comme un « mythe en miniature ».

2

MYTHES

Au sens strict, les mythes sont des contes populaires à portée religieuse qui ont pour vocation d'expliquer l'univers et le sens de la vie. Ces histoires sont tenues pour vraies par le narrateur et par son public. Elles traitent de la création et de l'organisation de l'univers par des êtres d'essence divine, qui peuvent cependant revêtir une apparence humaine (comme Zeus, dans la mythologie grecque) ou animale et dont les pouvoirs sont extaordinaires. Dans certaines mythologies, comme celles des Amérindiens ou des Africains de l'Ouest, la divinité est un être paradoxal, dupe de lui-même aussi souvent qu'il dupe les autres. On citera par exemple Anansi l'araignée, le trompeur au grand corps des contes populaires d'Afrique occidentale et des Caraïbes, qui semble à la fois indiquer aux humains ce qu'il ne faut pas faire et leur montrer les résultats de la désobéissance, ou bien le coyote, le corbeau et le lièvre des contes amérindiens.

3

LÉGENDES

Les légendes sont des contes populaires qui, bien que traitant de sujets religieux, diffèrent des mythes en ce qu'elles évoquent ce qui s'est passé dans le monde après sa création. Les sujets en sont variés (vie des saints, histoires de loups-garous ou de fantômes, aventures surnaturelles mettant en cause le monde réel, etc.). La légende diffère également du récit historique par sa présentation, son style et ses objectifs. Comme d'autres contes populaires, elle utilise généralement un discours stéréotypé, des clichés ou des personnages et des situations standardisées. Elle accorde par exemple peu d'importance à la psychologie ou à la vraisemblance des personnages. Hélène de Troie, Cléopâtre, ou plus récemment l'actrice Marilyn Monroe ont pu faire l'objet de légendes dans lesquelles elles personnifiaient la beauté féminine, sans qu'aucun autre aspect de leur personnalité ne soit évoqué. Une même simplification se constate dans les histoires de revenants, les légendes locales et parfois même dans les souvenirs familiaux.

4

CONTES DE FÉES

Les contes de fées sont des récits de fiction. Ils se déroulent dans des pays imaginaires, peuplés d'objets et de personnages magiques et étranges. Ni le narrateur ni son public ne croient à la réalité de l'histoire. Par dérivation, le terme générique de contes de fées peut d'ailleurs s'appliquer à des histoires où n'interviennent aucune fée (comme Blanche-Neige ou le Petit Chaperon rouge) mais qui mettent en scène des héros, généralement opprimés, obligés de relever de grands défis ou d'accomplir des tâches apparemment impossibles et qui, aidés par la magie, rétablissent les droits que leur conférait leur origine ou leur valeur propre. Ces contes, au départ destinés aux enfants, sont investis d'une dimension morale et pédagogique. Des psychanalystes comme Bruno Bettelheim (Psychanalyse des contes de fées, 1976) ont d'ailleurs tenté de démontrer de quelle manière le conte de fées pouvait aider l'enfant à équilibrer sa personnalité et à structurer sa relation avec le monde réel.

5

CHEVAUCHEMENT DES GENRES

Bien qu'il soit habituel de distinguer les mythes des légendes et des contes de fées, ce classement peut se révéler arbitraire. De fait, on constate bien souvent des phénomènes de « glissement » d'un genre à l'autre. Des contes comme ceux qui relatent les exploits d'Hercule ou du roi Arthur mêlent le mythe et la légende, utilisant en général des concepts et des thèmes que l'on retrouve aussi dans les contes de fées. En réalité, les fonctions et les définitions accordés aux contes populaires évoluent en même temps que les croyances et les valeurs propres aux différentes cultures. Ainsi, un récit d'origine populaire ayant perdu sa valeur religieuse ou sa vertu pédagogique restera par définition une référence culturelle, historique ou artistique. Dans le même ordre d'idée, les héros légendaires peuvent avoir des caractéristiques divines, et leurs aventures sont alors investies d'une portée mythique. La définition du conte populaire varie selon le rôle qu'il est appelé à jouer dans la société.

6

AUTRES CONTES POPULAIRES

Parmi les autres contes populaires, les contes animaliers se répartissent en deux grandes catégories : celles dans lesquelles les animaux parlent et agissent à la manière des êtres humains et celles où les caractéristiques humaines des animaux ne sont qu'une convention valable seulement dans l'espace narratif, comme dans le Roman de Renart (XIIe-XIIIe siècle) ou dans les Fables de La Fontaine. Les histoires extraordinaires, récits auxquels le narrateur ne croit pas mais qui sont supposés convaincre le public, ont fleuri en France aux XVIIIe et XIXe siècles sous le nom de « canards ». Ayant pour support des feuilles illustrées vendues bon marché par des colporteurs, les canards racontaient des événements présentés comme vrais mais revêtant bien des aspects légendaires : la sardine qui bouche le port de Marseille, la bête du Gévaudan ou les aventures romancées des bandits Cartouche et Mandrin appartiennent à ce folklore. Plus proches de nous, les rumeurs (parfois appelées « légendes urbaines ») sont des histoires réelles dénaturées, qui ont pour cadre les villes modernes et qui, bien qu'elles soient présentées comme véridiques (y compris parfois dans la presse), peuvent se rapprocher des autres contes populaires.

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